20

— Je voudrais vous souhaiter à tous la bienvenue, commença Luke, à cette première réunion de… du… (Il hésita et se tourna vers Cal Omas.) Comment va-t-on l’appeler ? Nous ne sommes pas vraiment un Conseil Jedi vu que la moitié des membres ne sont pas des Jedi…

Cal hésita à son tour pendant quelques instants.

— Pour commencer, appelons-le le Haut Conseil, ça ira bien, dit-il.

Tout cela ne démarrait pas sous les meilleurs auspices. La chambre d’hôtel qui avait été allouée au Conseil avait une drôle de configuration et, comme la plupart des salles réquisitionnées par le gouvernement hâtivement assemblé, elle sentait la peinture fraîche. La table ovale, taillée à partir d’une énorme conque couleur de perle, était beaucoup trop large pour la pièce et les membres du Conseil avaient été obligés de se serrer sur deux côtés.

A l’endroit où la table était la plus épaisse, Luke était assis face à Cal Omas. Il aurait été mal vu de diviser l’assemblée en plaçant les Jedi d’un côté et les non-Jedi de l’autre, donnant l’impression, dès la première réunion, que le Conseil était déjà divisé. On avait donc ventilé les Jedi autour de la table.

A la droite de Luke était assis le Sénateur Wookiee Triebakk, un individu très massif, très poilu et grognant avec vigueur. A la droite de Triebakk se trouvait Cilghal, guérisseuse Jedi, dont les yeux pédonculés de Mon Calamari lui permettaient d’embrasser la salle d’un seul regard. Au bout de la table se tenait Dif Scaur, directeur des Services de Renseignement, dont la frêle silhouette humaine semblait mieux s’accommoder que les autres de l’exiguïté de l’endroit.

A la droite de Scaur était assis Kenth Hamner, Jedi humain, retraité de l’armée. Il était raide comme la justice et son costume civil, admirablement ajusté, évoquait la même rectitude qu’un uniforme militaire. A la droite d’Hamner se trouvait Ta’laam Ranth, le discret sénateur Gotal qui avait permis à Cal Omas de remporter la majorité au Sénat et avait obtenu un siège au Conseil en récompense de son soutien et de sa loyauté.

A la droite de Ta’laam se tenait Cal et à la droite de Cal venait Kyp Durron. Pour l’heure, Kyp avait l’air particulièrement mal à l’aise. On lui avait ordonné, ainsi qu’à son escadron, de se rendre immédiatement sur Mon Calamari. A peine s’était-il posé qu’on lui avait annoncé qu’il venait d’être nommé membre du Conseil et que la première assemblée était sur le point de débuter. Cela faisait moins de trois heures qu’il avait posé le pied sur la planète et son visage était empreint de fatigue et d’incompréhension.

A la droite de Kyp était assise la ministre d’Etat à la fourrure dorée Releqy A’Kla, fille du regretté Elegos A’Kla, sénateur de Caamas sacrifié lors d’une cérémonie sur Dubrillion par les Yuuzhan Vong. Releqy avait absorbé une grande partie des souvenirs de son père par le rituel memnii caamasi et possédait donc les connaissances, le comportement et les talents politiques d’une personne bien plus expérimentée que ne le laissait soupçonner son âge.

A la droite de Releqy, et coincée à l’extrémité de la table, se trouvait la massive silhouette de Saba Sebatyne, observant les autres de ses intenses yeux reptiliens. Elle avait l’habitude de chasser les Yuuzhan Vong en meute, avec d’autres Barabel. Luke espérait qu’elle considérerait le Conseil Jedi comme une meute d’un genre différent.

A la droite de Saba se tenait Sien Sovv, Suprême Commandeur, et, entre Sovv et Luke, presque ratatinée dans un coin, se trouvait Tresina Lobi, Chevalier Jedi Chev à la peau grise et parcheminée, dont la longue trompe était en partie déroulée sur la table.

A cela, il fallait ajouter C-3PO, que Luke avait emprunté à Leia pour servir d’assistant, enregistrer le procès-verbal et, au besoin, assurer la traduction. Le droïde se tenait dans un des coins de la pièce et scrutait l’assistance de ses yeux dorés étincelants.

Luke jeta un coup d’œil à son databloc et aux notes qu’il avait prises juste avant la réunion.

— J’aimerais ouvrir cette réunion en faisant un tour de table, pour demander à chacun des membres de ce nouveau Conseil s’il souhaite ajouter quelque chose à l’ordre du jour…

Cal Omas s’éclaircit la gorge.

— Il s’agit d’un moment solennel, Maître Skywalker. Ne pensez-vous pas qu’un petit discours serait adéquat ?

— Je n’en ai pas préparé, répondit Luke. Mais, connaissant les Jedi comme je les connais, je peux vous garantir que les discours risquent de fuser au fur et à mesure de l’avancée de cette réunion. (Il se tourna vers Cal.) Et vous ? Vous ne voudriez pas nous faire un discours ?

— Ma gorge est un peu irritée par tous les discours que j’ai déjà prononcés, dit Cal. Mais je peux vous redire quelques-uns des passages qui ont déclenché des applaudissements lors de mon discours d’investiture. Certains sont plutôt pas mal tournés…

— Je pense que les membres du Conseil ont déjà pleinement profité de votre discours lors de sa diffusion en direct, dit Luke en souriant.

— J’aime à le penser, répondit Cal. (Il fit un signe de la main.) Désolé pour ce petit contretemps.

Luke se tourna vers les autres.

— Est-ce que quelqu’un voudrait signaler quelque chose ?

— Maître Skywalker ? demanda Kyp en levant la main.

— Maître Durron ?

L’inconfort de Kyp se lisait à présent ouvertement sur son visage.

— Auriez-vous l’obligeance de m’expliquer ce que je fais ici ?

Saba Sebatyne poussa un bref sifflement amusé.

— Comment cela ? répondit Luke.

Kyp se tordit sur sa chaise.

— Je ne suis pas sûr d’être à ma place au sein de ce Conseil. Enfin, pas vraiment. Je vous ai causé beaucoup de problèmes et je ne pense pas mériter de siège à cette assemblée.

— Oui, c’est exact, dit Luke, mais cela ne signifie pas que tu n’as pas mérité ce siège. Tu es l’un de nos Jedi les plus expérimentés, surtout en matière de combat contre les Yuuzhan Vong. Personne ne met en doute ton dévouement, ton talent ou ta maîtrise de la Force. Tu as toujours soutenu la création d’un nouveau Conseil Jedi, non ?

— J’ai abandonné toute fierté sur Ithor, dit Kyp. Et même si je n’ai pas toujours été à la hauteur, j’ai toujours tenté de faire de mon mieux. J’ai dispersé les Apôtres et je me suis mis aux ordres de Jaina Solo. Même si l’Amiral Kre’fey a fini par me convaincre de réunir à nouveau les Apôtres, j’ai toujours essayé de me faire le plus discret possible, d’exécuter les missions qu’on me confiait et de ne pas me retrouver dans les situations délicates auxquelles j’ai longtemps été habitué. Et aujourd’hui… (Il chercha ses mots.) Aujourd’hui, voilà que vous m’incluez dans le groupe à même de commander aux Jedi. C’est une véritable tentation de céder à nouveau à cette fierté à laquelle j’ai pourtant renoncé. Je crois que je suis beaucoup plus heureux quand je vole à la tête de mon escadron.

— Le bonheur de l’individu n’est pas le propos, siffla Saba. Le propos, c’est de savoir comment l’individu peut servir au mieux sa communauté.

— Je pense que ta voix au sein de ce Conseil est plus que bienvenue, elle est nécessaire, dit Luke à Kyp. Mais je ne peux pas t’obliger à rester ici si tu préfères te désister.

— Mais je ne veux pas encore une fois m’opposer à votre volonté, Maître Skywalker ! répliqua Kyp, exaspéré.

— Dans ce cas, reste.

— De plus, ajouta Cal Omas, si vous êtes soucieux de museler votre fierté galopante, je crois que nous pouvons, tous ensemble, ici, travailler à des façons de vous faire gagner en humilité.

Même Kyp ne put s’empêcher de rire à cette remarque. Il fit un large geste de la main.

— Je ferai comme vous le souhaitez, Maître Skywalker, dit-il. J’espère seulement que je ne vous ferai pas regretter ce choix.

Nous l’espérons tous, songea Luke.

— Puisque vous nous l’avez proposé, reprit Kyp, je souhaiterais commencer les débats en vous donnant des nouvelles en provenance de Kashyyyk, où Lowbacca et une équipe d’ingénieurs Wookiee procèdent à des recherches sur la biotechnologie Yuuzhan Vong.

— On t’écoute, dit Luke, remarquant que Triebakk, sur sa droite, s’était penché en avant avec un air grandement intéressé.

— Ils travaillent sur les basals dovins de la Supercherie, cette frégate confisquée à l’ennemi, annonça Kyp. Ils sont capables d’employer notre technologie pour dupliquer les effets des mines spatiales. Depuis le début de cette guerre, les Yuuzhan Vong se sont servis de ces mines pour arracher nos vaisseaux à l’hyperespace et leur tendre des embuscades avec leurs chasseurs. Il semblerait qu’aujourd’hui nous soyons capables de faire la même chose contre leurs vaisseaux.

— Merveilleux ! s’exclama C-3PO, traduisant les propos de Triebakk. Bien joué !

— Splendide, ajouta Sien Sovv, visiblement ravi. Voilà qui va coller parfaitement avec le plan de l’Amiral Ackbar.

— Peut-être que l'Amiral Sovv pourrait exposer la plan de l’Amiral Ackbar à ceux qui ne l’ont pas encore entendu, suggéra Cal.

— Peut-être qu’on pourrait s’en tenir à la première partie uniquement, dit Dif Scaur sur un ton prudent. Le but ultime de ce plan risquerait de… de dépasser les objectifs que nous avons fixés pour cette première réunion du Conseil.

En d’autres mots, pensa Luke, évitons de trop ébruiter le fait que l’Amiral Ackbar souhaite attirer les Yuuzhan Vong dans un piège. Moins il y aura d’individus au courant et plus les Yuuzhan Vong risqueront de se laisser surprendre.

Luke avait observé Dif Scaur avec attention, autant visuellement que dans les ondes de la Force. Il n’était pas encore tout à fait certain de la confiance qu’il souhaitait lui accorder. A cet instant précis, il perçut seulement l’authentique préoccupation de ne pas révéler le but ultime du plan de l’Amiral Ackbar.

Sovv suivit le conseil de Scaur et expliqua le plan d’Ackbar visant à exercer les jeunes recrues en les faisant participer à de multiples petits affrontements plutôt que de les lancer tout de suite dans une bataille de grande envergure.

— L’Amiral Kre’fey, conclut-il, a demandé qu’on lui fournisse autant de pilotes Jedi que possible. Il espère relier les unités de sa flotte avec ce qu’il appelle le « lien Jedi », afin qu’elles puissent manœuvrer à l’unisson. Il nous a signalé qu’il avait remporté un petit succès sur Obroa-skai avec cette technique et qu’il a besoin de plus de Jedi pour la rendre totalement effective.

— J’ai également reçu le message de Kre’fey à propos du recrutement des Jedi, dit Luke. Je ne vois aucune objection à laisser s’engager ceux qui se porteraient volontaires.

— J’espère que ce Conseil pourra trouver un moyen d’aider Kre’fey, dit Cal Omas. L’armée n’est pas au mieux de sa forme et a besoin de toute l’assistance qu’on peut lui fournir. Les défaites se sont succédé et, à juste titre, les soldats accusent la classe politique. Certains seraient même au bord de la mutinerie. Je ne me sentirais pas très à l’aise si je devais donner un ordre à Garm Bel Iblis en ce moment. Qui sait ce qu’il pourrait me répondre ? Si les Forces de Défense croient qu’on ne va pas les soutenir, je n’ose pas imaginer ce qui pourrait se passer.

Kyp s’éclaircit la voix et, un peu à contrecœur, leva la main.

— Oui ? dit Luke.

— Je suis désolé de dire ça juste après ce que vient d’annoncer le président, mais il se peut que nous ayons un problème avec l'Amiral Kre’fey. C’est un excellent commandant. Enfin, je crois. Mais les clans Bothan ont… eh bien… Ils ont déclaré ouvert le génocide des Yuuzhan Vong et Kre’fey prend cela très à cœur. Je ne crois pas que ce Conseil souhaite apporter son soutien à un massacre de masse, même s’il s’agit du massacre des Yuuzhan Vong.

Luke se tourna vers Cal Omas.

— Cal ? Qu’est-ce que vous en dites ?

— Si le gouvernement Bothan a fait une quelconque déclaration à ce sujet, dit-il en secouant la tête, il s’est bien abstenu de m’en informer.

— Allez parler à l’Amiral Kre’fey, dit Kyp. Il a tout du joyeux guerrier en ce moment. Je suis certain qu’il serait ravi de vous en parler.

Dif Scaur passa ses doigts squelettiques et pâles le long de son menton. Une intelligence froide était au travail derrière ces yeux enfoncés dans leurs orbites. Luke perçut que Scaur trouvait ce rebondissement particulièrement intrigant.

— Les Bothan sont des gens plutôt réservés, intervint Scaur. Il est possible qu’ils considèrent que cette décision ne concerne qu’eux.

— Une décision privée, certes, mais avec des conséquences galactiques, dit Cal, visiblement agité et furieux. Cette décision n’est pas du ressort des Bothan !

— Qu’est-ce qu’on fait alors de la requête de l'Amiral Kre’fey ? demanda Kenth Hamner.

— Il a déjà des Jedi servant sous ses ordres, dit Tresina Lobi. Y compris Maître Durron. Quelle est son opinion ?

Kyp hésita puis haussa les épaules.

— C’est un commandant efficace… Ce n’est pas un génie comme Ackbar ni un maître tacticien comme Wedge Antilles, mais c’est un homme qui sait résoudre les problèmes pour travailler à la victoire. L’ar’krai, c’est tout nouveau pour lui. J’ignore quels sont ses plans, mais je suis certain d’une chose : moi, cela m’inquiète.

Luke sentit une onde d’amusement et d’ironie émanant du Sénateur Gotal Ta’laam Ranth. Les Gotal étaient supposés être dénués d’émotions et concentrés sur la logique. Evidemment, ceux qui le supposaient ne pouvaient pas percevoir la gamme de sentiments émanant des deux cônes pointant au-dessus du crâne de ces étranges individus. Même si Luke n’était pas aussi apte à lire dans les pensées de Ta’laam que n’importe quel autre Gotal, il reçut néanmoins dans la Force quelques indications sur les dispositions du sénateur.

— Kre’fey souhaite éliminer les Yuuzhan Vong, dit Ta’laam. Je souhaite éliminer les Yuuzhan Vong. La plupart des habitants de cette galaxie souhaitent éliminer les Yuuzhan Vong. Puis-je cependant me permettre de rappeler au Conseil que ni Kre’fey ni personne d’autre n’est aujourd’hui en mesure d’exaucer ce souhait ? Nous perdons la guerre. Le problème n’est pas de savoir si nous allons détruire les Yuuzhan Vong, non, le problème, c’est que les Yuuzhan Vong peuvent nous détruire. (Ses yeux écarlates étincelèrent au fond de leurs orbites.) Les énigmes morales constituent un plaisant exercice mental, mais je suggère de maintenir ce débat dans le royaume du possible.

— Absolument, dit Scaur.

Scaur avait observé attentivement Ta’laam et Luke sentit qu’il était d’accord avec le Gothal, non pas parce qu’il portait une vague attention à la position politique du sénateur, mais pour des raisons secrètes connues de lui seul. Luke aurait tellement aimé connaître ces raisons…

Releqy hocha la tête pour approuver Scaur et Ta’laam.

— C’est effectivement une bonne idée, dit-elle.

— Très bien, dit Luke. Le propos est donc de savoir s’il faut, ou non, affecter des Jedi au service de l’amiral Kre’fey.

Saba Sebatyne déposa, doucement, une de ses élégantes mains reptiliennes sur la table.

— Mes congénères et moi, nous sommes hautement expérimentés en ce qui concerne ce lien dans la Force que l’amiral Kre’fey attend de ses Jedi. Peut-être serait-il bon de vous signaler ce que peu de gens savent. Si Kre’fey parvient à construire ce lien dans ces unités, ce ne sera plus Kre’fey qui sera aux commandes de la Flotte mais nous…

Les derniers mots de Saba sifflèrent à travers la table vers les auditeurs médusés. Triebakk, visiblement très amusé, poussa un grognement intraduisible.

— La Flotte sera conditionnée pour obéir aux ordres des Jedi, continua Saba. Elle se battra selon nos indications et notre commandement. En imaginant que Kre’fey ait l’intention de tenter quoi que ce soit… – pouvons-nous parler d’actions illégales ? –, il faudrait qu’il le fasse avec notre permission et notre coopération. Nous serons en position de tout contrôler.

Les autres observèrent la Barabel en silence pendant un très long moment.

— Je pense que nous devrions quand même lui envoyer des Jedi, finit par dire Luke.

Kyp leva une main pour protester mollement, puis la laissa retomber aussitôt.

— D’accord. Mais il faut les prévenir au sujet des Bothan et de leur souhait d’appliquer l’ar’krai.

— Absolument. Et pendant qu’ils s’entraîneront à perfectionner le lien psychique, ils devront également méditer sur les conséquences d’une mauvaise utilisation de ce lien…

— Maître Skywalker, dit Cilghal, depuis le début de cette guerre, vous nous avez mis en garde contre les dangers de l’agression. Et voilà que vous envoyez des Jedi obéir aux ordres d’un commandant qui ne manquera pas d’attaquer. Auriez-vous changé d’avis ?

Cilghal l’observait de ses grands yeux pédonculés. Luke comprit qu’elle avait dû essayer de lire ses pensées dans la Force. Et elle avait l’art de faire mouche.

— Oui, j’ai effectivement modifié mes méthodes, répondit-il enfin.

— Comment cela ? demanda Kyp Durron, dont il venait de capter soudain la totale attention.

— Je suis prêt à accorder ma bénédiction aux Jedi qui adopteront un comportement offensif face aux Yuuzhan Vong, à l’unique condition qu’ils cantonnent leurs actions à des objectifs militaires.

Les yeux de Kyp étincelèrent.

— Vous auriez pu nous économiser beaucoup de peine si vous nous aviez dit cela il y a quelques années ! (Il leva les bras au ciel.) Pendant des lustres et des lustres, vous m’avez mis en garde contre l’agressivité, en me disant que celle-ci pouvait conduire au Côté Obscur ! Je ne vous ai pas écouté et la réalité n’a pas cessé de me gifler violemment, encore, et encore, et encore ! J’ai finalement décidé que vous deviez avoir raison. J’ai assisté à la glissade soudaine de quelqu’un que je connaissais vers le Côté Obscur et ce fut pire que tout ce que j’avais pu imaginer. (Il tendit un doigt vers Luke.) Vous avez fini par me convaincre ! Cela fait des mois que je me comporte comme un gentil petit Jedi ! Je n’ai pas arrêté de clamer à qui voulait bien m’entendre que Maître Skywalker avait eu raison pendant tout ce temps ! Et voilà que, maintenant, vous me dites que vous avez changé d’avis ?

C’était là le Kyp Durron que Luke connaissait bien.

— Mais comment osez-vous ? demanda Kyp. Comment osez-vous ?

Luke eut toutes les peines du monde à contenir un fou rire.

— Au début de cette guerre, je ne disposais pas des informations que je possède à présent, dit-il. Mais peut-être que toi, tu les avais…

— Quelles informations ? demanda Kyp en croisant les bras, dévisageant Luke et laissant clairement comprendre que sa patience avait des limites.

— Au début, j’étais particulièrement perturbé par le fait que les Yuuzhan Vong étaient invisibles dans la Force. J’avais l’impression qu’ils représentaient comme une insulte, une profanation délibérée de l’existence même, et que mon destin était de me lancer dans une sombre croisade contre eux. (Il balaya la table du regard et fixa chacun des membres de l’assistance.) Mais cela aurait été la pire des choses à entreprendre. Beaucoup de Jedi auraient renoncé à la voie de la lumière dans une guerre comme celle-ci. Je n’aurais, moi-même, probablement pas été capable de résister à l’appel des ténèbres.

— Et qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? demanda Kyp, un peu las.

— De nouvelles données, dit Luke, relevant la tête. Des informations fournies par Jacen Solo, par Vergere. Il est maintenant possible de comprendre que les Yuuzhan Vong ne constituent pas une exception aux règles élémentaires de la création. Si nous ne pouvons pas les voir dans la Force, c’est notre faute, pas la leur. Nous pouvons les combattre sans nécessairement avoir la volonté de les éradiquer totalement. Nous pouvons les combattre sans haine, sans sombrer dans les ténèbres. (Luke regarda Kyp, de l’autre côté de la table.) Peut-être que tu le savais déjà il y a deux ans. Si c’est le cas, je te présente mes excuses d’avoir pu douter de toi. Mais, aujourd’hui, je ne m’en veux pas d’avoir fait preuve de prudence.

— Comment aurais-je pu savoir une chose pareille ? demanda Kyp. Vous savez bien que ce n’est pas possible, enfin !

— C’était très risqué, dit Luke. Je ne souhaitais pas que quiconque bascule vers le Côté Obscur à cause de mon éventuelle mauvaise interprétation de la situation.

— Vous… commença Kyp en tendant un doigt accusateur. Vous… (Il aplatit son poing sur la table en signe de colère et regarda les autres.) Est-ce que je suis le seul, ici, à avoir tout bonnement envie de casser la figure à Maître Skywalker ?

De nouveau, Luke se retint d’éclater de rire et il sentit que d’autres faisaient de même. Cal Omas regarda Luke, puis Kyp, et se mit à sourire.

— Je m’abstiendrai de frapper qui que ce soit, dit Cal, mais je ne vous cache pas mon envie de me laisser distraire !

Kyp, furieux, leva les mains en l’air.

— J’ai l’impression que Skywalker nous joue toute cette comédie pour se distraire lui-même, en premier lieu.

— Kyp, si tu souhaites entendre un argument valable, dit Luke, tu dois te rappeler que le Chef de l’Etat nous a accordé sa confiance totale et qu’il a réservé une place aux Jedi au sein de son gouvernement. C’est la moindre des choses de soutenir un gouvernement qui nous soutient autant, non ?

— Tout cela, c’est bien beau, répondit Kyp, mais vos avertissements à propos de l’agression ne sont pas dénués de fondement. Il est encore possible que certains d’entre nous basculent vers les ténèbres. Je le sais. Ça m’est arrivé. (Il adressa à Luke un regard très douloureux.) Et, très récemment encore, j’ai vu quelqu’un y succomber.

Eh bien, comme ça, tu sais ce que ça fait… songea Luke. Il avait lui-même assisté à la descente de Kyp vers le Côté Obscur sans pouvoir faire quoi que ce soit pour l’en empêcher. Kyp comprenait désormais, après avoir vu Jaina se laisser submerger par les ténèbres, la teneur de ce sentiment d’impuissance.

— Le Code Jedi est très déroutant car le terme « agression » n’y est pas clairement défini, dit Luke. Je vais donc te le définir. L’agression, c’est lancer une attaque sans avoir été provoqué, ou bien c’est s’emparer de quelque chose qui ne t’appartient pas, ou bien encore aider quelqu’un à faire l’une ou l’autre de ces actions.

Kyp, songeur, hocha la tête.

— Cette définition aurait pu nous éviter toute cette incompréhension entre nous deux.

— Elle aurait pu, oui, dit Luke. J’en suis désolé.

— Mais le danger est toujours réel, reprit Kyp. Et il le deviendra encore plus lorsque nous enverrons les nôtres au combat.

— Nous devons leur faire confiance, dit Luke en secouant la tête. Ce sont des Jedi. Nous les avons entraînés.

Qu’ils aillent au combat, se dit Luke. Vergere le lui avait prouvé… Il devait avoir confiance en son entraînement, pour que son exemple aide à sortir les Jedi de cette crise. Qu’ils aillent au combat…

— Le danger est limité grâce au lien psychique, dit Saba. (Les autres furent stupéfaits par son ton soudain si convaincu.) Avec tous les Jedi unis dans la Force, partageant le même esprit, si un seul venait à glisser vers les ténèbres, les autres seraient là pour le ramener vers la lumière.

Luke espérait que ce serait le cas.

— Nous devons faire confiance aux Jedi et à leur entraînement, dit-il. Nous avons lancé tous les avertissements qu’il était possible de formuler. Le lien mental est un nouvel outil que nous devons tenter d’utiliser.

— Et qu’advient-il de la Grande Rivière ? demanda Cilghal. (Elle semblait très perturbée.) Nous avons, avec grande difficulté, organisé ce canal pour les réfugiés, pour les agents, pour obtenir des informations. Si nous sommes tous sur le point de nous lancer dans l’offensive, est-ce que cela signifie que nous allons laisser la Grande Rivière s’assécher à la source ?

— Bien sûr que non, dit Luke. Chaque Jedi doit décider lui-même s’il souhaite ou non aider à la défaite des Yuuzhan Vong. Et, à moins de cas particuliers requérant toute mon attention, j’ai bien l’intention de continuer mon travail avec la Grande Rivière.

Cilghal sembla rassurée. Luke se tourna vers Cal.

— C’est bon, vous avez eu assez de discours pour aujourd’hui ?

— J’avoue que ce fut très enrichissant, répondit Cal, embrassant la table du regard. En fait je m’attendais à ce que les Jedi soient plus enclins à l’affirmation qu’à la discussion.

— Oui, c’est ce que j’espère toujours, dit Luke. Sans jamais réellement parvenir à mes fins.

Les autres membres du Conseil firent part de leurs rapports concernant la Grande Rivière et les autres projets en cours. Dif Scaur fit un bref exposé sur ce qu’il estimait être les objectifs des Yuuzhan Vong. Triebakk s’exprima sur le Sénat, dont certains membres semblaient encore préoccupés par l’élection audacieuse de Cal à la tête de l’Etat, mais qui, dans l’ensemble, ne semblait guère faire de vagues.

— C’est tout ? demanda Luke.

Tresina releva sa trompe pour pouvoir s’exprimer plus clairement.

— J’aimerais m’enquérir du sort des apprentis Jedi qui viennent d’arriver ici, sur Mon Calamari, avec le convoi de réfugiés. Ils n’ont pas de Maître, ils n’ont pas de tâche à accomplir. Qu’est-ce qu’on va faire d’eux ? Faut-il les envoyer directement… (Elle hésita, comme sur le point de révéler un secret.) Les envoyer à l’Académie secrète, rejoindre les autres apprentis ?

— De qui voulez-vous parler ? demanda Cilghal.

— Zekk et Tahiri Veila.

— Ils étaient avec mon fils Tesar lors de l’assaut sur Myrkr, dit Saba.

Et ils ont tous deux assisté à la mort d’Anakin, se dit Luke.

— Pour l’instant, Alema Rar s’occupe d’eux, dit Tresina. Mais Alema ne se sent pas encore prête pour former un apprenti, deux encore moins. Elle m’a demandé de porter cette situation à l’attention du Conseil.

Luke se dit qu’Alema avait raison. Elle avait perdu sa sœur, Chevalier Jedi elle aussi, horriblement mutilée par un voxyn. Depuis la tragédie, elle avait fait preuve d’une grande vulnérabilité. Et cela datait d’avant l’assaut sur Myrkr. Elle se sentait donc probablement trop vulnérable pour passer ses journées à s’occuper d’apprentis Jedi et les aider à faire face à leurs propres problèmes.

— Ce sont des guerriers, dit Kenth Hamner. On aura certainement besoin d’eux. (Il se tourna vers Luke.) Peut-être qu’on devrait les promouvoir, les adouber Chevaliers Jedi ? Ils pourraient alors eux-mêmes décider du poste où ils se rendraient le plus utiles ?

Luke hésita quelques instants avant de prendre la parole.

— Tahiri est très jeune, elle a à peine seize ans. Et c’était… Eh bien, elle était un peu la petite amie d’Anakin… J’ignore si elle s’est totalement remise de sa mort. (Il secoua la tête.) Faire d’elle un Chevalier et l’envoyer affronter les Yuuzhan Vong reviendrait à l’envoyer directement vers le Côté Obscur.

— Envoyez-les sur Kashyyyk, dit Saba. Confiez-les à Tesar, qu’ils en apprennent un peu plus sur le lien psychique. Envoyez aussi Alema Rar. C’est le lien mental qui les sauvera du Côté Obscur. (Ses yeux jaunes étincelants balayèrent l’assemblée.) C’est le lien avec les Barabel qui m’a sauvée, moi, lorsque Krasov et Bela, les compagnons de portée de Tesar, ont succombé.

La sincérité de Saba parut convaincante. Luke hocha la tête.

— Très bien, dit-il.

— D’autres apprentis faisaient partie du commando d’Anakin, ajouta Kenth Hamner. Jaina, Jacen, Lowbacca et, bien entendu, Tekli, l’élève de Cilghal. Est-ce qu’on ne devrait pas les promouvoir, eux aussi ?

Luke se sentit très gêné de ne pas y avoir songé lui-même.

— Bien sûr.

— Et n’oubliez pas Tenel Ka, ajouta Kyp.

Les yeux de Cal semblèrent pétiller.

— Ils seront les premiers Chevaliers Jedi de l’Ordre nouveau, dit-il. Il faudrait peut-être organiser quelque chose de spécial pour cette occasion, non ? Une cérémonie ?

— Les Jedi n’organisent jamais ce genre de cérémonie, dit Kyp. Les Jedi agissent. Ils ne participent pas à ces singeries.

Luke éclata de rire.

— Vous avez tellement envie de faire un discours, Cal ? C’est vrai que, dans le passé, il n’y a jamais eu de cérémonie…

— Et pourquoi non ? dit Cal, rougissant un peu. Ce sont des héros, après tout. Les citoyens de la galaxie doivent le savoir. Qu’on les fasse venir ici et je leur remettrai une médaille, je prononcerai un petit discours à ma façon, jusqu’à ce que leurs oreilles en tombent !

— Tesar et Lowbacca sont toujours sur Kashyyyk, lui rappela Tresina.

— Ils sont dans l’armée, pas vrai ? dit Cal. Ils font partie de l’escadron de Jaina, non ? Eh bien, ordonnons à l’escadron de Jaina de se rassembler sur Mon Calamari.

— Monsieur, avança Sien Sovv avec tact, l'Amiral Kre’fey n’appréciera que modérément la perte de trois Jedi au moment où il vous implore de lui en affecter plus…

— Alors, dites-lui qu’on lui en enverra plus ! répondit Cal. Dites-lui de nous envoyer ses apprentis, et qu’en retour nous lui enverrons des Chevaliers Jedi !

— Tenel Ka a déjà été promue, remarqua Releqy. Au rang de Reine Mère, en fait. Je ne sais pas si nous réussirons à persuader les Hapan de la laisser partir sous le simple prétexte que nous voulons organiser une cérémonie.

Mais l’enthousiasme de Cal ne fléchit pas.

— Et pourquoi les Hapan s’opposeraient-ils au fait que nous souhaitons honorer leur reine ? De plus, je suis certain que Tenel Ka voudra être présente lorsque ses amis seront adoubés.

Luke ne put s’empêcher de sourire devant le zèle de Cal Omas. Peut-être qu’après tout cette cérémonie serait une bonne chose et montrerait à tout le monde – et aux Jedi en particulier – que les choses avaient changé. Que les Jedi occupaient à présent une certaine place dans la galaxie et faisaient partie de l’avant-garde contre les Yuuzhan Vong. Champions de la Nouvelle République, champions des milliards de citoyens pour lesquels ils se battraient. A nouveau.

 

— … du brillant commandement d’Anakin Solo. (La voix de Cal, anormalement tonitruante et solennelle, s’élevait dans l’auditorium obscur.) En honorant ces jeunes guerriers, n’oublions pas ceux qui ont partagé leur mission et ne sont pas revenus. Ulaha Kore. Eryl Besa. Jovan Drark. Raynar Thul. Bela et Krasov Hara. Ganner Rhysode, pourtant revenu de Myrkr mais qui mourut un an plus tard en défendant un camarade…

A l’appel de chaque nom, le portrait de chacun des Jedi était projeté au-dessus de la scène, évoquant une présence spectrale flottant sur l’assistance. Dans la fosse d’orchestre, en contrebas de l’estrade, les tambours se mirent à battre lentement, comme les pulsations d’un cœur sur le point de s’arrêter.

— … Et leur chef, Anakin Solo.

Le portrait d’Anakin apparut. Luke, se tenant sur le côté droit de la scène avec les autres membres du Conseil, releva la tête vers ce visage juvénile et souriant. Il sentit sa gorge se serrer.

Cal avait planifié toute la cérémonie. Luke s’était opposé à son caractère théâtral, mais on ne l’avait pas écouté. « La plupart des gens n’auront jamais l’occasion de rencontrer de Chevalier Jedi au cours de toute leur existence, avait déclaré Cal Omas. Je veux qu’ils puissent en voir, là, maintenant. Je veux qu’ils constatent que les Chevaliers Jedi agissent pour le bien de tous. »

Cal avait raison. Ce long hommage rendu aux morts était très émouvant. Il se tourna vers Luke.

— Maître Skywalker va prendre la parole, dit-il.

Cal quitta le podium et rejoignit les membres du Conseil, très solennellement, accordant ses pas au rythme des tambours. Luke, habillé simplement d’une tunique Jedi, s’avança dans la direction opposée et croisa Cal sur la scène. Les morts tombés sur Myrkr flottaient au-dessus d’eux comme les étoiles d’une constellation perdue.

Luke atteignit le pupitre. Les tambours cessèrent de jouer. Il sentit la foule devant lui – l’auditorium était plein à craquer –, mais il n’entendait rien. Le silence était profond.

Soudain, une trompette isolée retentit. Trois notes montantes. La dernière soutenue un peu plus longtemps que les autres. Les notes furent jouées à nouveau. Dans un ordre différent et, encore une fois, la dernière fut soutenue un peu plus longtemps que les autres. Les trois notes furent répétées dans un ordre encore différent, et la dernière jouée plus longuement. Le son était étonnamment pur et, curieusement, étonnamment triste.

Les tambours roulèrent une fois puis se turent. La trompette répéta ses trois notes, variant l’ordre, improvisant, s’envolant, montant dans les aigus et redescendant dans les graves jusqu’à ce que l’instrument pousse enfin son dernier son. Un son très haut, parfaitement ajusté et maîtrisé, qui parut retentir éternellement dans l’esprit des spectateurs. L’image des martyrs s’effaça lorsque l’on entendit la dernière sonnerie de trompette.

Luke regarda ce public qu’il ne voyait pas. Il aurait tant souhaité être anonyme… Il ne voulait plus être Luke Skywalker, héros et Maître Jedi. Il voulait simplement que les mots qu’il allait prononcer puissent être les propos que n’importe quel Jedi aurait pu tenir.

— L’appel du devoir, pour les Jedi, remonte à plusieurs millénaires… commença-t-il.

Il évoqua ceux qui, en premier, s’étaient rendu compte de l’existence de la Force, ceux qui avaient découvert comment on pouvait se servir de cette vitalité et ceux qui – analysant leur puissance et en comprenant les dangers – avaient rédigé un code pour son utilisation. Les premiers Chevaliers Jedi, voués à servir, non à asservir. Il évoqua ceux qui avaient chassé la menace Sith hors de la galaxie, ceux qui avaient protégé la République jusqu’à ce que celle-ci se trahisse de l’intérieur. Il cita ces nouveaux Jedi qui avaient vu le jour en même temps que la Nouvelle République et ceux qui, à l’heure actuelle, tenaient tête aux Yuuzhan Vong, levant une mince barrière de sabres laser contre l’ennemi.

— Nous allons donc accueillir neuf nouveaux membres au sein de l’Ordre, dit Luke. Chacun, chacune, a senti la Force croître en lui ou en elle. Chacun a vécu l’épreuve du combat, a souffert de la perte de camarades. Chacun a agi avec son cœur et est prêt, aujourd’hui, à se vouer au service de la Nouvelle République, tant que celle-ci perdurera.

Luke se tourna vers les apprentis qui attendaient, en ligne, sur le côté gauche de la scène. Chacun d’entre eux était très simplement vêtu d’un pantalon, d’une veste et d’une paire de bottes.

— A l’appel de votre nom, dit Luke, avancez-vous et soyez prêts à recevoir la tunique officielle de Chevalier Jedi.

— Tenel Ka !

La reine des soixante-trois planètes, selon la bienséance, l’emportait sur les autres. Lorsque les tambours commencèrent à frapper une marche solennelle, elle s’écarta du groupe des apprentis et rejoignit le podium.

— Veuillez ôter votre sabre laser, je vous prie, dit Luke.

Deux Maîtres Jedi, Kenth Hamner et Kyp Durron, sortirent du groupe des membres du Conseil, portant sur leurs bras la nouvelle tunique de Tenel Ka. Ils l’aidèrent à la passer puis bouclèrent sa ceinture à laquelle ils accrochèrent son sabre laser.

Luke s’éloigna du micro. Il n’avait pas prévenu Cal de ce qu’il avait l’intention de faire, mais il tenait à ce qu’une partie de la cérémonie soit un peu plus confidentielle, destinée uniquement aux Jedi concernés.

Il posa les mains sur les épaules de Tenel Ka et la regarda droit dans les yeux.

— Ta tâche est probablement la plus ardue de toutes, dit-il à voix basse. La voie d’une reine est fort différente de celle d’un Jedi. Ton devoir de Reine de Hapes, inévitablement, sera un jour en conflit avec les valeurs beaucoup plus simples de la Chevalerie. (Il fixa ses grands yeux gris.) Je ne te demande pas de choisir une voie plutôt qu’une autre. J’espère seulement que tu choisiras avec ton cœur, que tu choisiras avec sagesse…

Luke passa les mains derrière le cou de Tenel Ka et rabattit la capuche sur la tête de la jeune femme. Tenel Ka regagna sa place. Luke retourna sur le podium.

— Tesar Sebatyne !

Le Barabel s’avança. Sa mère, Saba, assistée par Kenth Hamner, lui fit passer sa tunique. Luke, encore une fois, s’écarta du micro. A Tesar, il se contenta de dire :

— La flamme du guerrier brûle en toi, Tesar. Tu as prouvé que tu ne faillirais pas devant un camarade blessé, que tu ne l’abandonnerais jamais. Que la Force te guide dans chacune de tes actions.

Les yeux jaunes de Tesar s’illuminèrent de fierté lorsqu’il retourna auprès de ses camarades.

— Alema Rar !

Alema quitta le rang. Dans la Force, Luke perçut chez elle une aura de tristesse. Pendant que Tresina et Kyp l’aidaient à passer sa tunique, Luke observa la Twi’lek. Il se remémora ce qu’il savait de sa rude enfance dans les cellules ryll et de sa sœur, qui était morte dans ses bras, la chair brûlée par les acides d’un voxyn. Alema avait beaucoup aimé Anakin, elle avait considérablement souffert de sa disparition. Luke eut un geste affectueux, prenant bien soin de ne pas effleurer ses queues crâniennes si sensibles.

— Le destin t’a privée de ton enfance et de ta seule famille, dit-il. Les Jedi ne pourront jamais remplacer l’un ou l’autre. Mais j’espère que tu nous feras suffisamment confiance, que tu n’hésiteras pas à venir chercher tout l’amour, le réconfort, l’amitié et l’énergie que nous pourrons te donner lorsque tu en auras le plus besoin. Retourne sur Kashyyyk, va lier ton esprit à celui des autres et soigne-toi.

En relevant la capuche par-dessus la tête d’Alema, Luke aperçut des larmes briller au coin des yeux de la Twi’lek.

— Lowbacca !

Le Wookiee au pelage couleur de pain d’épice se dressa au-dessus de Luke et le regarda en souriant de toutes ses dents. Luke ne put s’empêcher de sourire à son tour.

— Tu es celui dont je n’ai jamais douté, dit-il. Ta voie est toujours restée celle du bien et de la justice. Tu as également prouvé qu’elle le resterait à jamais.

Lowbacca dut se pencher considérablement pour que Luke puisse rabattre sa capuche sur sa tête. Un murmure amusé parcourut l’assistance.

— Jacen Solo !

Jacen s’avança en silence. Luke sentit, dans la Force, que le jeune homme était prêt à recevoir les honneurs. Il prit Jacen par les épaules. Celui-ci le regarda avec intensité. Il avait taillé les favoris qui avaient poussé lors de sa captivité sans toutefois s’en débarrasser complètement. Son visage arborait à présent une barbe régulière. Luke perçut l’ouverture d’esprit du jeune homme, son honnêteté. Toutes ces vertus Jedi qu’il avait entretenues en dépit de la terreur et des épreuves survenues au cours des dernières années.

— Jacen, dit Luke, n’envisage jamais d’arrêter de poser des questions.

Jacen parut abasourdi.

— Je n’aurais jamais cru que tu me dirais cela un jour !

— Je n’aurais jamais cru que je te le dirais non plus ! dit Luke en le serrant dans ses bras.

Jacen rejoignit ses camarades, visiblement satisfait et amusé.

— Zekk !

Zekk fut assisté par Kyp et Luke en personne pour enfiler sa tunique. Ces trois Jedi avaient fait eux-mêmes l’expérience des ténèbres.

— Zekk, dit Luke, tu es un Jedi qui s’est forgé lui-même dans l’espoir de devenir le Chevalier auquel tu rêvais. Jadis, l’Académie des Ombres t’a baptisé Chevalier Noir, mais toutes les forces des ténèbres n’ont pas réussi à te détourner de la lumière. Désormais que tu l’as enfin trouvée, cette lumière, puisses-tu à jamais vivre dans son éclat.

Zekk regagna le rang. Sa fierté produisit un feu éclatant dans la Force.

— Tahiri Veila !

Pieds nus, la jeune fille blonde s’avança, courageuse et pâle dans l’obscurité. C’était également une orpheline qui avait été privée d’enfance. Une autre victime capturée et maltraitée par les Yuuzhan Vong. Une autre jeune femme qui avait aimé Anakin et qu’Anakin avait aimée en retour.

Cilghal et Saba l’aidèrent à passer la tunique. Luke étudia son petit visage très sérieux et caressa très légèrement ses frêles épaules.

— La vie t’a privée de ce que tu aimais, dit-il. Mais ton courage est inégalé. N’oublie jamais que les Jedi seront toujours là pour toi. N’oublie jamais que de la Force découle autant la mort que la vie. (Il lui caressa la joue.) Et n’oublie jamais qu’ici il y a des gens qui t’aiment. Retourne sur Kashyyyk, joins ton esprit à celui des autres et guéris.

Le menton de Tahiri trembla. Elle ravala ses larmes lorsque Luke rabattit la capuche sur ses cheveux blonds.

— Tekli !

Cilghal et Tresina lui passèrent la tunique. Luke se dit qu’il aurait été des plus ridicules de dominer la Chadra-Fan d’à peine un mètre de haut pour lui délivrer son petit discours. Il rassembla les pans de sa tunique et s’assit en tailleur face à elle.

— Ta maîtrise de la Force n’est peut-être pas aussi aboutie que pour certains d’entre nous, dit Luke, mais ta dévotion est sans égale. Tu as décidé de t’attribuer le rôle de guérisseuse. D’autres recueilleront fortune et gloire, mais sache que ton art est le plus noble de tous, que la préservation de la vie est le plus grand don qu’un Jedi puisse offrir à ses semblables.

Luke rabattit la capuche sur la petite figure au groin proéminent puis il se releva sans effort de sa position assise. Il le fit sans s’aider de ses mains ou de la Force et en fut particulièrement ravi.

— Jaina Solo !

Jaina s’avança. Luke perçut sa présence froide dans la Force et la précision avec laquelle ses pas s’étaient accordés aux battements des tambours montant de la fosse d’orchestre. Elle portait son uniforme militaire. Cal Omas avait insisté à ce sujet, afin de bien montrer à tous l’attachement de la jeune femme à servir la Nouvelle République. Kyp et Kenth Hamner, tous deux pilotes, l’aidèrent à enfiler la tunique.

Luke posa ses mains sur ses épaules et plongea son regard dans ses yeux sombres. Un frisson le parcourut soudain, et il sentit ses nerfs comme consumés par un feu glacé.

— Je te nomme Sabre des Jedi, dit-il. Tu es comme l’acier trempé, déterminée et aiguisée. Tu seras toujours en première ligne, comme un tison brandi devant nos ennemis, comme un feu réconfortant pour tous tes amis. Ta vie est sans repos et jamais tu ne connaîtras de relâche car la paix que tu connaîtras sera celle que tu apporteras aux autres. Tu dois trouver le réconfort dans le fait que, en te tenant seule à la tête, d’autres trouveront refuge dans l’ombre que tu projetteras.

Luke se tut et, pendant un très long moment de malaise, il regarda droit dans les yeux stupéfaits de Jaina. Il n’avait pas voulu dire cela. Il n’avait pas voulu dire quoi que ce soit ressemblant à cela. Pourtant, les mots avaient jailli de sa gorge comme la sonnerie d’un bourdon gigantesque, une cloche dont quelqu’un d’autre que Luke était en train de tirer la corde. Il devina que les autres Jedi avaient tourné les yeux vers lui. Avait-il parlé assez fort pour que tout le monde puisse l’entendre ?

Les mains tremblantes, Luke rabattit la capuche sur la tête de Jaina. Lorsqu’il regagna le podium, il tâtonna maladroitement le pied du micro pour en trouver l’interrupteur.

— Dégainez vos sabres laser, dit-il. Que ce soit la première fois, en tant que Chevaliers Jedi !

Le crépitement des neufs lames des sabres laser allumés à l’unisson retentit dans l’espace. Il se tourna vers les neuf nouveaux membres de l’ordre et sortit à son tour son arme. Les membres Jedi du Conseil en firent autant.

— Aujourd’hui, pour la première fois, nous vous saluons en tant que collègues, dit-il.

Luke et les membres du Conseil procédèrent alors au salut rituel avec leurs armes de lumière.

— Face au public pour réciter le Code Jedi, dit Luke en se tournant vers l’assistance.

— Il n’y a pas d’émotion, il n’y a que la paix, dirent-ils en chœur. Il n’y a pas d’ignorance, il n’y a que le savoir. Il n’y a pas de passion, il n’y a que la sérénité. Il n’y a pas de mort, il n’y a que la Force.

Pendant qu’ils récitaient le Code, la trompette isolée se mit à jouer à nouveau. Les trois notes semblèrent appeler les nouveaux chevaliers vers leur destin. Illuminés par la lame de leur sabre laser, les Chevaliers Jedi demeurèrent debout et silencieux dans la pénombre.

La trompette poussa une dernière note aiguë et se tut. Lorsque son écho s’amenuisa, les lumières de la scène s’éteignirent. Un tonnerre d’applaudissements monta de la salle. Mais lorsque les lumières se rallumèrent, la scène était vide.

La voie du destin
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